LE MOIS SANS ALCOOL : UNE OPPORTUNITE DE LEVER LE TABOU DE L’ALCOOL EN CONSULTATION ?
- coreadd
- 2 déc.
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Dernière mise à jour : 5 déc.

En janvier 2024 : 4,5 millions de Français·e·s avaient relevé le défi du mois sans alcool ! Une campagne de prévention aux bénéfices nombreux, dont l’efficacité a été validée scientifiquement et qui ne cesse de gagner en popularité. Un phénomène de contagion sociale qui contribue à faire évoluer les normes sociales et culturelles relatives à l’alcool. À l’instar du Mois Sans Tabac, cette pause sans alcool ne représenterait-elle donc pas aussi une opportunité pour les professionnel·le·s de santé d’aborder l’alcool en consultation ?
Une campagne efficace pour toucher les consommateurs et consommatrices à risque
Des bénéfices concrets sont rapportés par les participant·e·s : amélioration du sommeil, regain d’énergie, meilleure concentration et des économies non négligeables. Des effets bénéfiques qui se prolongent au-delà de l’expérience, avec des habitudes de consommation plus maîtrisées sur plusieurs mois. Selon l'étude JANOVER[1], ce défi serait une manière efficace de toucher les personnes identifiées comme consommateurs et consommatrices. En effet, 32 % des participant·e·s au défi se reconnaissent comme ayant une consommation d’alcool potentiellement à risque, contre seulement 17 % chez les non-participant·e·s.
Cette étude souligne par ailleurs la valeur des campagnes d'abstinence temporaire en tant qu'outils de santé publique évolutifs et efficaces, ainsi que l'importance de stratégies de soutien personnalisées pour favoriser la réussite et le changement de comportement.
Mois sans alcool : comment s’en saisir en consultation ?
Évoquer les consommations d’alcool en consultation peut parfois s’avérer difficile, que ce soit du côté des patient·e·s ou des professionnel·le·s de santé. Selon le Dr Marc Besnier, médecin généraliste à Iteuil (86) et administrateur à la COREADD Nouvelle-Aquitaine, « Janvier sans alcool doit se préparer dans nos cabinets dès décembre pour inciter les patients à le débuter dès janvier et profiter de leur plus grande motivation ! ».
Comment ? Chaque professionnel trouvera la question d’accroche qui lui convient.
Il existe un challenge en janvier autour de l’arrêt temporaire de l’alcool. En avez-vous entendu parler ?
Après les fêtes, que pensez-vous de tenter de faire une pause ?
Est-ce que ça vous intéresserait de faire le point sur votre consommation d’alcool ?
Ne pas hésiter à rappeler que ce défi s’adresse à tout le monde et qu’il apporte des bénéfices rapides et concrets (meilleur sommeil, plus d’énergie, perte de poids, meilleure humeur et des économies) et que même si on ne tient pas tout le mois, cette pause permet d’en apprendre plus sur ses habitudes et sur soi, ce qui est déjà très positif ! Enfin, certains motifs de consultation (trouble du sommeil, hypertension, envie de perdre du poids…) permettent particulièrement de rebondir sur ce défi.
Cette campagne s’adresse à un public large, principalement aux buveurs occasionnels ou réguliers, voulant réduire, faire une pause ou réfléchir à leur consommation, mais n’est pas adaptée aux personnes dépendantes à l’alcool. En effet, le Dr Marc Besnier rappelle que dans ce cas « tout sevrage soudain est un danger vital pour le patient. Il est nécessaire de dépister le mésusage pour l’accompagner ».
Retrouvez le Dr Marc Besnier lors de notre prochain webinaire spécial
« mois sans alcool » le 9 déc. à 13h00

Usage à risque ou nocif d’alcool : 1 patient·e sur 5 concerné·e en médecine générale
Alors que l’usage d’alcool à risque ou nocif concernerait 1 patient·e sur 5 en médecine générale[2], la question de l’alcool ne serait abordée que moins de 1 fois sur 100 en consultation[3]. Pourtant, selon l’étude « Repérage de la consommation d’alcool à risque par les médecins généralistes : enquête auprès de patients en soins premiers » de Phan et al. (2020)[4], 100% des patients trouvent leur médecin légitime à le faire.
Alors pourquoi un tel sous-repérage côté professionnels de santé ? Divers freins à la systématisation du repérage : manque de temps, de formation ou de connaissance des ressources locales en addictologie, sous-estimation des consommations, persistance du tabou social (peur de déplaire, de culpabiliser, de se tromper, de choquer…) ou d’idées reçues (ex : des dommages induits uniquement chez les personnes dépendantes). Toutefois selon cette même étude, si les patients n’étaient que 4,2 % à avoir déjà évoqué d’eux-mêmes leur consommation, 99,2 % déclaraient ne pas avoir honte de parler d’alcool et avoir confiance en leur médecin pour tenir ce rôle. Une raison de plus pour se lancer à l’occasion du mois sans alcool et repérer ensuite tout au long de l’année !
« Il faut casser nos propres représentations pour aborder celles des patients. Si nous avons peur d’aborder le sujet, les patients n’oseront pas nous en parler. »
Le RPIB : un outil simple et probant
Aborder la question des consommations de substances psychoactives peut paraître difficile, mais il existe des techniques simples pour se familiariser et se sentir à l’aise pour le faire, comme celle du Repérage Précoce Intervention Brève alcool (RPIB).
« Chaque occasion peut être la bonne. À chaque fois que le sujet est abordé, cela pourra être la prise de conscience essentielle au patient »
L’adoption d’une posture positive, bienveillante, non stigmatisante est bien sûr essentielle à la pratique du RPIB.
Soutenu par la Haute Autorité de Santé (HAS) et l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le RPIB est une des actions ayant le plus démontré son efficacité en pratique. Cette intervention courte est particulièrement adaptée pour favoriser les changements de comportements en l’absence d’addiction.
Des outils gratuits en ligne d’aide à la pratique peuvent vous y aider comme la Plateforme Ethyloclic®, basée sur le RPIB, développée par le Dr Cassandre BORNERT, médecin généraliste, Florian BARRE, ingénieur informatique et le Pr MOIRAND, professeur d’addictologie au CHU Rennes et reconnue par la Société Française d’Alcoologie et d’Addictologie.
Quand aborder ?
Il existe de nombreuses situations propices en médecine générale pour aborder la consommation d’alcool : la première consultation, la demande de médecin traitant, une demande de certificat médical d’absence de contre-indication à la pratique sportive, toute consultation de suivi pour pathologie(s) chronique(s)… et le mois sans alcool ! Voir Fiche Outil d’aide au RPIB de la HAS
Concernant sa fréquence, la HAS recommande un repérage au moins une fois par an si possible et à chaque moment opportun, mais aussi en cas de risque situationnel : grossesse, précarité, conduite de véhicules, poste de sécurité, conditions de stress psychosocial (échec scolaire, examens, changement de travail, retraite, divorce, deuil, etc.).
Face à une demande d’arrêt, il faut rester vigilant à ne pas vouloir trop vite induire un processus de changement et veiller à ne pas être trop normatif. S’adapter à la temporalité de la personne permet d’inscrire son suivi et son changement dans la durée.
« Il est autant important de questionner les causes d’un sevrage spontané que d’encourager le patient à le tenter »
La personne ne souhaite pas arrêter ?
L’abstinence totale n’est pas l’unique option thérapeutique. Une démarche de réduction des risques et des dommages (RdRD) peut être privilégiée pour certains patients.
Avant de devenir un problème, l’alcool a été une solution efficace pour le patient. Au-delà du nombre de consommations repérées, il est important d’essayer de comprendre le rapport de la personne à l’alcool et ses motivations (affronter une réalité difficile, gérer ses émotions…).
En cas d’usage problématique, il est possible de proposer une aide ou une orientation (voir addictoclic, notre annuaire en ligne des professionnels spécialisés en addictologie en Nouvelle-Aquitaine), sans oublier les proches, qui eux aussi peuvent avoir besoin d’aide.
« Le meilleur facteur de l’alliance thérapeutique est l’écoute. En entendant la non demande de nos patients, nous leur envoyons le message qu’ils seront entendus le bon jour. »
En conclusion, toute opportunité pour le praticien d’expérimenter la pratique du RPIB, avec pour objectif sa systématisation et sa réitération dans le temps, est donc à saisir. Aborder la question de l’alcool en consultation, c’est aussi offrir aux patients la possibilité d’en parler d’eux-mêmes plus facilement un jour. En bref, le défi du mois sans alcool pour le professionnel de santé, c’est saisir l’occasion d’en parler avec ses patients !
Pour aller plus loin :
09/12/25 : Webinaire Rendez-vous de la COREADD « Le mois sans alcool : une opportunité à saisir pour aborder les consommations » (Inscription)
04/12/25 : Webinaire ALaLoupe « Repérer et accompagner la co-consommation d'alcool et de tabac en ville » (inscription)
À lire aussi :

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[1] Etude nationale portée par Le Vinatier – Psychiatrie universitaire Lyon Métropole et ses partenaires avec le soutien de l’Institut national du cancer, menée auprès de 2 123 participants de l’édition 2024, comparé aux habitudes de consommations d'alcool d’un second échantillon représentatif de la population française adulte.
[2] Mouquet, M.-C. and H. Villet, Les risques d'alcoolisation excessive chez les patients ayant recours aux soins un jour donné. Etudes et Résultats, 2002. N°192: p. pp.1-11
[3] Guide pratique « Mieux accompagner les personnes usagères d’alcool en médecine générale » - Modus Bibendi / Fédération Addiction, avril 2023
[4] Repérage de la consommation d’alcool à risque par les médecins généralistes : enquête auprès de patients en soins premiers - ScienceDirect

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